Réduction du gaspillage alimentaire : les avancées des cantines scolaires

Réduction du gaspillage alimentaire : les avancées des cantines scolaires

Un fléau discret mais omniprésent : le gaspillage alimentaire à la cantine

Chaque jour en France, près de 20 à 30 % des aliments servis dans les cantines scolaires termineraient à la poubelle. C’est l’équivalent de 150 g par plateau, soit plus de 1 000 tonnes de nourriture gaspillées quotidiennement à l’échelle du pays. Un constat alarmant quand on pense aux ressources mobilisées pour produire ces aliments, aux émissions de gaz à effet de serre associées, mais aussi à l’impact budgétaire pour les collectivités locales.

Heureusement, ce gâchis n’est pas une fatalité. Depuis quelques années, des écoles, des communes et des entreprises de restauration collective se retroussent les manches et innovent pour enrayer la spirale du gaspillage alimentaire à la cantine. Si vous avez mangé à la cantine étant enfant, vous vous souvenez sans doute du pain systématiquement jeté ou du chou-fleur abandonné sur tous les plateaux… Ces scènes tendent à disparaître grâce à des approches plus durables et intelligentes.

Le cadre légal : une impulsion décisive

La loi EGAlim (Équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire), adoptée en 2018, a jeté les bases d’une transformation profonde des pratiques en restauration collective. Elle impose notamment une réduction du gaspillage alimentaire, avec des objectifs concrets : -50 % d’ici 2025 par rapport à 2015. Elle oblige également les établissements à réaliser un diagnostic de leurs pertes alimentaires.

Cette législation a été un catalyseur : les établissements scolaires, souvent poussés par les collectivités locales et les parents d’élèves, redoublent désormais d’efforts pour mieux planifier, servir, et recycler les repas. Certaines communes ont même dépassé les objectifs fixés, montrant qu’au-delà du cadre légal, une approche pédagogique et collaborative peut renverser la tendance.

Observer, mesurer, comprendre : le trio gagnant

Avant de changer quoi que ce soit, il faut savoir où l’on en est. Le premier réflexe que les cantines engagées dans la lutte contre le gaspillage adoptent, c’est le pesage. Munis d’une balance connectée — ou d’un simple seau et d’une bonne vieille balance de cuisine — les équipes de cuisine et les élèves mesurent avec précision ce qui est jeté chaque jour.

Ce diagnostic permet d’identifier les principales sources de gaspillage : est-ce que les portions sont trop grandes ? Certains plats sont-ils boudés systématiquement ? Le pain est-il distribué en excès ? Ces observations, ventilées selon le type de déchets (préparation, non servis, restes de plateaux), permettent ensuite d’ajuster finement les pratiques.

À Marseille, par exemple, dans certaines écoles pilotes, la pesée a révélé que 40 % du gaspillage venait d’aliments non servis — simplement trop cuisinés. Une planification plus ajustée a déjà permis de réduire ce volume de moitié.

Impliquer les enfants : une clé de voûte trop souvent sous-estimée

Réduire le gaspillage ne peut pas reposer uniquement sur le personnel de cuisine. Impliquer les enfants est à la fois nécessaire et terriblement efficace. De nombreuses cantines font désormais appel à des “éco-délégués” ou à des “ambassadeurs anti-gaspi” parmi les élèves. Ces jeunes sont formés aux enjeux environnementaux et deviennent de véritables relais de sensibilisation auprès de leurs camarades.

À l’école Jean-Jaurès d’Issy-les-Moulineaux, ces ambassadeurs présentent chaque mois les “scores” de gaspillage à leurs camarades, comparent les progrès et proposent des défis collectifs. Résultat ? Une réduction de 35 % des restes alimentaires en un an, et une prise de conscience qui dépasse largement les murs de l’école.

Autre astuce simple mais redoutable : mettre en place des affiches ludiques dans le réfectoire, ou un “coin du pain” où les élèves viennent déposer leur bout de pain non consommé, plutôt que de le laisser au fond du plateau.

Adapter les menus et les portions : la fin du dogme du “un pour tous”

L’une des causes profondes du gaspillage à la cantine est la standardisation excessive. On a longtemps servi à tous les enfants la même portion, en partant du principe qu’ils mangeaient et aimaient les mêmes choses… ce qui n’a jamais été vrai, ni pour les adultes, ni pour les petits.

Cela change. Aujourd’hui, de plus en plus de cantines adoptent le service à la carte ou à la louche. L’élève indique s’il veut une petite ou une grande portion, voire s’il souhaite goûter une nouveauté avant de se servir pleinement. Cette personnalisation — qui peut sembler banale — réduit drastiquement les restes dans les assiettes.

Dans une école de Lyon, après l’introduction du service à la louche accompagné d’une simple fiche de demande de portion à l’entrée du self, le volume de déchets a chuté de 45 % en trois mois seulement. Et les enfants, plus acteurs de leur repas, mangent avec davantage de plaisir et de responsabilité.

Que deviennent les invendus ? Le rôle de la redistribution et du compost

Malgré tous les ajustements, il y aura toujours un peu de surplus. Plutôt que de jeter ces restes comestibles, certaines collectivités font appel à des associations pour organiser leur redistribution à des publics précaires. C’est notamment le cas à Bordeaux, où plusieurs cantines ont mis en place une collaboration avec les Restos du Cœur et la Banque Alimentaire pour redistribuer les plats non servis mais encore propres à la consommation.

Et lorsque les restes ne peuvent pas être redistribués (produits entamés, restes de plateaux…), le compostage prend le relais. Certaines écoles ont installé leur propre composteur, tandis que d’autres passent par des prestataires spécialisés. Le compost produit est parfois utilisé dans des potagers pédagogiques, bouclant élégamment la boucle avec l’éducation au développement durable.

Des technologies au service de meilleures pratiques

Le numérique peut aussi contribuer à cette transition alimentaire. Des applications comme Meal Canteen ou Too Good To Go développent désormais des solutions spécifiques pour la restauration collective. Elles permettent, par exemple :

  • Aux familles de signaler l’absence d’un enfant à la cantine à l’avance, évitant la préparation de repas inutiles
  • De proposer des invendus en fin de service à prix réduits
  • De récolter les préférences alimentaires des élèves pour ajuster les menus

Ces outils, bien utilisés, fluidifient la communication entre parents, enfants, équipes de cuisine et collectivités. Ils facilitent aussi le suivi statistique et le partage des bonnes pratiques entre établissements.

Des résultats concrets… et encourageants

Selon un rapport de l’ADEME publié en 2022, les établissements ayant engagé une démarche structurée de réduction du gaspillage alimentaire parviennent à économiser jusqu’à 0,68 € par repas. Cela représente environ 20 000 € d’économies annuelles pour une école de 500 élèves. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des retombées environnementales — réduction des émissions de gaz à effet de serre, moindre pression sur les ressources naturelles, etc.

Mais au-delà des euros et des kilos, ces démarches cultivent aussi une culture de la responsabilité et de la sobriété chez les plus jeunes. Car la cantine est un espace éducatif à part entière : c’est là que les enfants découvrent de nouvelles saveurs, apprennent à respecter la nourriture, comprennent le lien entre alimentation et planète. Ce sont ces graines-là qu’il faut nourrir pour encourager une transition écologique durable.

Vous êtes parent, enseignant ou élu ? Que pouvez-vous faire ?

Bonne nouvelle : vous pouvez être acteur du changement, même à votre échelle :

  • Proposez de réaliser un diagnostic du gaspillage dans votre école
  • Impliquez les enfants via des ateliers, des jeux ou des concours autour de l’alimentation
  • Favorisez un dialogue régulier entre équipe pédagogique, personnel de cuisine et familles
  • Suggérez l’ajustement des portions ou la mise en place du service à la demande
  • Soutenez l’installation de composteurs ou la mise en lien avec une association locale

Changer les habitudes prend du temps, mais les résultats sont là. Et surtout, ils sont inspirants : ils prouvent qu’avec un peu de volonté, de créativité et d’intelligence collective, nos cantines peuvent devenir des lieux exemplaires de lutte contre le gaspillage alimentaire. Et ça, c’est un vrai goût de victoire !