Des chantiers pas si inoffensifs : une empreinte écologique massive
Quand on pense pollution et changement climatique, on visualise souvent des voitures, des usines ou des avions. Et pourtant, un autre secteur pèse lourd dans la balance : celui du bâtiment. Peu visible, son impact est pourtant colossal. Selon le ministère de la Transition écologique, le secteur du bâtiment représente 43 % de la consommation énergétique en France et près de 23 % des émissions de gaz à effet de serre.
Les chantiers de construction en sont l’un des moteurs principaux. Entre la fabrication des matériaux, le transport, les engins de chantier, la gestion des déchets et l’étanchéité des constructions, chaque étape est source d’émissions et de pollution. Alors, peut-on continuer à « construire durablement » avec un modèle aussi énergivore ? Spoiler : il est temps de tout repenser.
Du béton, toujours plus de béton
Le béton est le matériau le plus utilisé dans le monde après l’eau. Et c’est aussi l’un des plus polluants. La faute au ciment, son liant, dont la production est extrêmement énergivore. Produire une tonne de ciment émet environ 600 à 900 kg de CO2. À l’échelle planétaire, cela équivaut à près de 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Rien que ça.
Outre les émissions de CO2, les carrières de sable nécessaires à la fabrication du béton ont un impact direct sur les écosystèmes aquatiques. Le sable est aujourd’hui une ressource surexploitée — une « crise silencieuse » selon les Nations Unies. Résultat : rivière dévastées, deltas grignotés, biodiversité asphyxiée.
Des chantiers énergivores et polluants
Un chantier, c’est du bruit, de la poussière, du trafic et beaucoup (vraiment beaucoup) de déchets. En France, le secteur du bâtiment génère environ 46 millions de tonnes de déchets par an, soit près de 70 % des déchets du pays. La plupart proviennent de la démolition, mais la construction neuve n’est pas en reste.
Et côté ressources, ce n’est pas mieux. Énergie pour alimenter les engins, eau pour les bétons, matériaux prélevés dans les milieux naturels… chaque mètre carré construit est un prélèvement sur notre environnement. Sans parler des nuisances locales : particules fines, pollution sonore, destruction des sols… Construire n’est jamais neutre.
Des alternatives durables, oui ça existe !
Face au poids écologique des chantiers traditionnels, les alternatives se multiplient. Et la bonne nouvelle, c’est qu’elles ne sont pas réservées à quelques pionniers militants ! Voici quelques pistes concrètes pour bâtir autrement :
- Le réemploi des matériaux : Pourquoi produire du neuf quand l’existant peut encore servir ? Briques, poutres, carrelage, bois… De plus en plus de chantiers intègrent des matériaux récupérés et revalorisés. Des plateformes comme Backacia ou Cycle Up facilitent désormais la logistique du réemploi.
- Les matériaux biosourcés : Chanvre, bois, lin, laine de mouton ou encore ouate de cellulose : ces matériaux naturels sont plus écologiques, souvent locaux, et performants en isolation thermique et acoustique. Le béton de chanvre, par exemple, présente une très bonne capacité d’inertie thermique tout en captant du CO2 pendant sa croissance.
- La construction modulaire ou hors site : Fabriquer des éléments en usine pour les assembler ensuite sur site permet de réduire les nuisances et les déchets. Cette technique, prometteuse, permet aussi des gains de temps et une meilleure efficacité énergétique.
- Les chantiers bas carbone : Certains labels (E+C-, BBCA, HQE) évaluent désormais les projets selon leur empreinte carbone, incitant à choisir des équipements plus sobres, limiter les transports ou encore compenser les émissions.
L’économie circulaire appliquée au bâtiment
Bonne nouvelle : la logique de l’économie circulaire s’invite de plus en plus sur les chantiers. On recycle, on transforme, on réutilise. Loin de l’approche « extraire, fabriquer, jeter », cette vision circulaire du bâtiment commence à faire école.
À Grenoble, le quartier Flaubert expérimente la déconstruction sélective : plutôt que de démolir des bâtiments, on les démonte, en séparant chaque matériau pour pouvoir le recycler ou le réutiliser. Résultat : une réduction notable des déchets et une relocalisation des savoir-faire.
Autre exemple, à Paris, la tour Montparnasse prévoit une rénovation complète à faible impact, en conservant au maximum la structure existante et en privilégiant des matériaux locaux et recyclés. C’est plus long, plus complexe… mais tellement plus vertueux.
Et si on construisait moins ?
Choquant ? Pas tant que ça. Parce que la solution la plus écologique reste parfois… de ne pas construire du tout. Trop de projets immobiliers sont encore motivés par la spéculation ou une vision court-termiste du développement urbain. Or, le foncier est limité, nos ressources aussi, et notre climat ne peut plus supporter l’excès.
Réhabiliter plutôt que construire, densifier intelligemment les centres-villes, transformer les bureaux vacants en logements… Des solutions existent, mais demandent un changement profond de paradigme. Cela suppose de repenser nos besoins, notre rapport à l’espace et à la croissance urbaine.
A-t-on vraiment besoin de nouveaux bâtiments quand 1 logement sur 10 en France est vacant ? Quand près de 30 % des surfaces de bureaux à La Défense sont inoccupées ? Bâtir moins, c’est aussi bâtir mieux.
Des professionnels de plus en plus engagés
Heureusement, le vent tourne. De plus en plus d’acteurs du bâtiment s’engagent pour des chantiers plus verts. Des labels comme HQE, BREEAM ou BBCA se généralisent. De nouveaux métiers émergent : AMO bas carbone, facilitateurs de réemploi, diagnostiqueurs ressources… Tout un écosystème se met en place.
Les architectes, urbanistes et ingénieurs intègrent désormais des critères environnementaux dès la conception. Le BIM (Building Information Modeling) permet de mieux anticiper les flux de matériaux et les étapes de construction, optimisant ainsi les ressources mobilisées.
Et si vous doutez encore de l’appétence du secteur, sachez que 2023 a vu un doublement des projets labellisés bas carbone par rapport à l’année précédente. Le secteur bouge, doucement, mais sûrement.
Des citoyens aussi acteurs du changement
Et nous dans tout ça ? Faut-il être urbaniste pour agir ? Pas du tout ! Le changement commence aussi par les choix que nous faisons au quotidien. Préférer acheter un bien réhabilité plutôt qu’un logement neuf. Rénover un bâtiment ancien avec des matériaux naturels. Soutenir les collectivités qui développent des écoquartiers. Participer à des chantiers participatifs portés par des associations. Chaque geste compte.
Vous avez un projet de construction ? Posez les bonnes questions au constructeur. Demandez l’origine des matériaux. Exigez des solutions durables, un chantier propre, un bâtiment sobre en énergie. Les professionnels adaptent leur offre à la demande : soyons nombreux à tirer le marché vers le haut.
Oui, les chantiers sont l’un des angles morts de la transition écologique, mais ils peuvent aussi devenir l’un de ses leviers. C’est entre nos mains — et sous nos pieds.