Chaque année, les images se répètent : des rues transformées en rivières, des habitants hissant leurs meubles en hauteur, des communes entières déclarées en état de catastrophe naturelle. Les inondations sont devenues un fléau régulier, accentué par le changement climatique et l’artificialisation massive des sols. Face à cette problématique, une solution naturelle se distingue par son efficacité : les zones humides.
Souvent mal connues, parfois redoutées, ces zones font parfois l’objet d’un regard méfiant. Et pourtant, les zones humides jouent un rôle indispensable, non seulement pour la biodiversité, mais aussi pour notre sécurité. Comment agissent-elles ? Pourquoi faut-il absolument les préserver, voire les restaurer ? C’est ce que nous allons explorer ensemble.
Les zones humides : de quoi parle-t-on exactement ?
Une zone humide est un espace dans lequel l’eau – douce, saumâtre ou salée – est présente de manière permanente ou temporaire. Il peut s’agir de marais, de tourbières, de prairies inondables, de lagunes, de mangroves ou encore des rives de rivières et de lacs.
On distingue plusieurs caractéristiques-clés :
- Un sol saturé en eau plus de 10 % de l’année, modifiant la composition chimique du sol.
- Des plantes adaptées à ces conditions humides appelées hydrophytes.
- Une biodiversité exceptionnelle, avec des espèces souvent inféodées à ces milieux.
Malheureusement, plus de 50 % des zones humides ont disparu en France depuis le début du XXe siècle, au profit de l’agriculture, de l’urbanisation ou d’infrastructures routières. Une perte qui n’est pas anodine…
Un rôle d’éponge naturelle face aux inondations
Imaginez une éponge géante capable d’absorber des quantités impressionnantes d’eau, pour ensuite la restituer progressivement. C’est exactement ce que font les zones humides. Lors d’épisodes de fortes pluies ou de crues, elles servent de bassins de rétention naturels, freinant la progression de l’eau vers les zones urbanisées.
Un exemple marquant se trouve en Camargue. Cette région abrite de vastes zones humides qui fonctionnent comme des tampons hydrauliques. Lors des crues du Rhône, ces territoires absorbent une partie des débordements, limitant leur impact en aval, notamment vers les zones plus denses comme Arles ou les Bouches-du-Rhône.
Cette capacité d’absorption est d’autant plus précieuse dans un contexte de dérèglement climatique où les épisodes pluvieux extrêmes tendent à se multiplier. En Île-de-France, les plaines inondables de la Seine amont, encore préservées par endroit, ont permis de diminuer l’ampleur des crues de 2016 en stockant temporairement jusqu’à 300 millions de m³ d’eau.
Autrement dit, préserver une zone humide, c’est éviter demain la montée des eaux dans votre salon. Plutôt convaincant, non ?
Des dégâts évités… et des économies en perspective
Au-delà de la protection des biens et des personnes, la fonction tampon des zones humides représente également un levier économique sous-estimé. En estimant l’épargne réalisée en termes de réparations, d’indemnisations et de reconstructions d’infrastructures, les bénéfices sont considérables.
Une étude de l’OCDE publiée en 2021 souligne que l’investissement dans des infrastructures naturelles, comme la restauration de zones humides, permet un retour sur investissement de 2 à 5 fois supérieur à celui des solutions techniques traditionnelles (digues, canalisations, bassins artificiels). Pourquoi ? Parce que ces milieux remplissent plusieurs services écosystémiques simultanément :
- Régulation naturelle des flux hydriques
- Dépollution biologique des eaux
- Réservoirs de biodiversité
- Espaces de détente et valorisation touristique
Alors, au lieu de bétonner toujours plus (et inonder par ricochet), pourquoi ne pas miser sur l’intelligence du vivant ?
Quand les politiques rattrapent leur retard
Heureusement, la donne commence lentement à changer. En France, le Plan National Zones Humides 2022-2026 prévoit 500 millions d’euros pour restaurer et préserver ces écosystèmes uniques. Le financement passe aussi par les agences de l’eau, qui soutiennent des projets de réhabilitation, souvent portés par des collectivités locales ou des associations.
Certaines communes montrent l’exemple. À Tréveneuc, dans les Côtes-d’Armor, une zone humide a été restaurée pour protéger le centre-bourg des ruissellements en période de tempête. Résultat : plus aucune inondation depuis cinq ans. Un projet mené avec les habitants, preuves à l’appui, qui inspire déjà des villages voisins.
À l’échelle européenne, l’initiative « Wetlands for Europe » pousse également les États membres à inscrire les zones humides dans leurs stratégies d’adaptation au changement climatique. Une prise de conscience bienvenue… mais qui arrive après des décennies de destructions.
Comment agir à notre échelle ?
Oui, on ne possède pas tous une roselière au fond du jardin. Et pourtant, chacun peut contribuer à la préservation – ou à la reconnaissance – des zones humides locales. Voici quelques pistes d’action accessibles :
- Soutenir les associations locales qui œuvrent pour la restauration des zones humides (comme le Conservatoire du littoral, la LPO, ou les syndicats de bassins versants).
- Participer à des chantiers nature lors de journées bénévoles : plantation, débroussaillage, réouverture de mares, etc.
- Éviter de rejeter huiles, détergents et médicaments dans les canalisations. Ces produits finissent souvent dans les zones humides via les eaux usées non traitées.
- Mieux gérer le ruissellement chez soi : installer une noue paysagère, préserver une zone en herbe ou boisement, collecter les eaux de pluies, etc.
- Sensibiliser autour de soi : une mare au parc urbain voisin n’est pas un « nid à moustiques », c’est un micro-réservoir de biodiversité et un allié contre les inondations.
Il ne s’agit pas de tout faire, mais d’agir là où c’est possible, avec les moyens qu’on a.
Redonner toute leur place aux zones humides
Ce n’est pas un hasard si certaines civilisations ancestrales les vénéraient ou les intégrèrent à leur organisation territoriale. Longtemps considérées comme inexploitables voire insalubres, les zones humides étaient en réalité des alliées silencieuses. Aujourd’hui, à l’heure où la nature nous rappelle chaque année sa puissance, il est temps de réapprendre à composer avec elle plutôt que contre elle.
Si nous voulons bâtir une société plus résiliente face aux bouleversements climatiques, miser sur les solutions fondées sur la nature, comme les zones humides, est un passage obligé. À la manière d’un bon vieux parapluie, elles ne nous protègent que si on pense à les ouvrir… et surtout à les garder intactes.
Alors, la prochaine fois que vous croiserez une zone inondable en bord de ville ou un marais préservé derrière un grillage, demandez-vous : et si c’était notre meilleur rempart contre les prochaines crues ?